Le 09 juillet
Festival d’Avignon
Gymnase du lycée Aubanel
A Noiva e o Boa Noite Cinderela Capítulo 1 da Trilogia Cadela Força
Texte, conception, mise en scène, dramaturgie : Carolina Bianchi
Avec : Larissa Ballarotti, Carolina Bianchi, Blackyva, José Artur Campos, Joana Ferraz, Fernanda Libman, Chico Lima, Rafael Limongelli, Marina Matheus
Dramaturgie et recherche : Carolina Mendonça
Brésil - Pays bas / Création au Festival d'Avignon 2023
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La scène est baignée de lumière blanche. Au centre, une table est posée, recouverte d’une nappe blanche, accompagnée d’une chaise. En-dessous de la table, de la terre. Sur la table, des bouteilles… L’espace scénique est simple, et l’atmosphère semble paisible, mais l’histoire qu’on attend viendra bouleverser ce point de départ épuré.
Une femme apparaît sur scène.
« Au milieu du chemin de notre vie, je me trouvai dans une forêt obscure, car j’avais perdu la bonne voie. Hélas ! que c’est une chose rude à dire, combien était sauvage, et âpre et épaisse, cette forêt, dont le souvenir renouvelle ma frayeur ! Elle est si amère, que la mort l’est à peine davantage ; mais, pour dire le bien que j’y ai trouvé, je parlerai des autres choses que j’y ai vues ». Ce sont les mots affichés sur le grand écran au-dessus de la scène que l’actrice reprend pour commencer l’histoire de son propre voyage.
Le début de l’Enfer de Dante est suivi d’un autre récit d’une autre grande figure de la littérature du XIVᵉ siècle, l’un des « Trois Couronnes », Boccace. Il s’agit de la huitième nouvelle de la cinquième journée du Décaméron de Boccace, où le protagoniste, Nastagio degli Onesti, éperdument amoureux de Damigella, une noble dame, est rejeté. En errant dans la forêt, Nastagio est témoin d'une scène effrayante. Un chevalier poursuit une femme nue à travers les bois, la frappant cruellement et la déchirant sauvagement… L’histoire est racontée à travers les quatre tableaux de Botticelli que l’on peut également voir sur l’écran : Nastagio rencontre une dame et le cavalier dans le bois de Ravenne, Assassinat de la dame, Le banquet dans le bois, Noces de Nastagio degli Onesti.
L’histoire des quatre tableaux se transfigure en actualités récentes dont les faits se gravent dans notre mémoire. C’est l’histoire de Bruno Fernandes et de son ex-maîtresse, un mannequin qui a été retrouvé mort étranglé en 2010. Son corps avait été jeté aux chiens pour faire disparaître des preuves.
Après cette introduction captivante qui entrelace le théâtre, la littérature et la peinture, et qui nous prépare au sujet de la pièce, l’actrice se présente au public. Il s'agit de Carolina Bianchi, une artiste brésilienne, metteuse en scène, actrice et dramaturge, dont le travail transcende les frontières entre théâtre, performance et danse. Elle aborde des thèmes essentiels tels que les remises en question du genre, les violences sexuelles et les nuances de l'histoire de l'art. Elle présente pour la première fois son travail au Festival d’Avignon.
Le spectacle se déploie comme une révélation de la mémoire, où Carolina Bianchi, tel un voyageur moderne à la manière de Dante, nous transporte à travers les strates du temps pour nous conter avec une intensité émotionnelle la tragédie des féminicides. Dans le premier chapitre, intitulé Capítulo 1 da Trilogia Cadela Força, le nom de Pippa Bacca résonne, incarnant les visages et les voix des femmes dont les vies ont été cruellement interrompues.
Carolina Bianchi évoque tout d'abord l’expression artistique à travers la performance (Gina Pane, Marina Abramović, Ana Mendieta, Virginie Despentes) qui est caractérisée par l'utilisation du corps en tant que médium, que ce soit pour susciter l'interrogation, provoquer des réactions ou faire des déclarations engagées. Carolina Bianchi choisit précisément cette voie et utilise son propre corps en tant qu’artiste présent. Elle avertit le public de prendre la drogue dite « Bonne nuit, Cendrillon », qui est discrètement introduite dans les verres des victimes, les plongeant ensuite dans un sommeil léthargique où elles sont abusées jusqu'à la violation. C’est cette boisson que Carolina Bianchi ingère devant nos yeux.
L'intervalle qui sépare ces deux instants – le moment où la drogue est ingérée et celui où le sommeil s’empare – s’accompagne d'une scène de karaoké, où la danse débridée de Carolina Bianchi tisse une trame d’émotions palpables. On entend les paroles de la chanson Giorni de Mina, tandis que notre regard se pose sur les images évocatrices de Pippa Bacca. C’est la pièce qui dialogue avec les morts.
Quand elle s’endort, la scène change. La blancheur cède la place à un tableau vivant. Le changement de décor s'accompagne d’un son turbulent. Au centre de ce nouvel univers, des jeunes se déplacent avec une allure excentrique, leurs tenues empreintes de l’esthétique gothique captent l'attention. Une voiture, placée au milieu de la scène, contribue à la reconstruction du féminicide.
Il y a deux moments importants dans la deuxième partie du spectacle qui suscitent des émotions intenses. Le premier concerne la décomposition du corps : les différentes étapes distinctes de modifications anatomiques et chimiques qui se produisent dans le corps après la mort représentées à travers la présence de la terre et de différents phases de décomposition.
Le fait de prendre « Bonne nuit, Cendrillon » et de perdre le contrôle sur son propre corps est également une forme de décomposition du corps. De plus, le fait d’être soumis ensuite à un examen gynécologique – filmé en direct à la manière de Romeo Castellucci dans Giulio Cesare – alors qu'elle n'a pas encore repris conscience, témoigne de la mise en lumière d'un corps observé de l'intérieur, exprimant une manipulation de la volonté et du droit à la liberté…
Lorsque Dante succombe à l'évanouissement juste avant d'atteindre les portes de l'Enfer, il sombre dans un état de torpeur profonde. Cependant, au lieu de retrouver la clarté de la conscience à son réveil, il s'éveille brusquement au cœur même de l'Enfer. Les ténèbres et les horreurs infernales l'entourent, conférant à cet instant un contraste saisissant entre son état inconscient et la réalité cauchemardesque qui le submerge à son réveil.
« Fuck catharsis ! ». C’est le spectacle qui ne nous laisse pas indifférents.
Aida Copra
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