Le 07 juillet
La Villette
Théâtre de la Ville
Café Müller
mise en scène et chorégraphie de Pina Bausch
direction artistique de Boris Charmatz
un spectacle de Tanztheater Wuppertal + Terrain
musique d’Henry Purcell
avec Dean Biosca, Taylor Drury, Reginald Lefebvre, Ekaterina Shushakova, Christopher Tandy, Tsai-Chin Yu
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Comme l’affirme Patrice Pavis, la description de l’acteur, qui est « au centre de la mise en scène et il tend à ramener à lui le reste de la représentation », est « l’élément le plus difficile à saisir » (Patrice Pavis, L’Analyse des spectacles, Éditions Nathan, Paris, 1996). À ce propos, il cite Susan Foster (Cf. Reading Dancing, Berkeley, University of California Press, 1988) et dit : « En danse, savoir lire commence avec l’acte de voir, d’entendre, et de sentir comment bouge le corps. Le lecteur de danse doit apprendre à voir et à sentir le rythme dans le mouvement, à comprendre la tri-dimensionalité du corps, à être sensible à ses capacités anatomiques et à sa relation à la gravité, à identifier les gestes et les formes faits par le corps et même à les réinventer lorsqu’ils sont accomplis par différents danseurs ».
Café Müller commence dans l’obscurité. On ne voit pas comment bouge le corps, mais on commence d’abord à l’entendre et à le sentir… en silence. On entend comment il se cogne contre les chaises pendant que la lumière apparaît en douceur et très lentement. On voit deux femmes en robe blanche les bras légèrement soulevés qui, les yeux fermés, bougent dans le Café Müller vide. Les gestes sont épais et simples. C’est une danse dissimulée.
Café Müller, célèbre chorégraphie de Pina Bausch créée en 1978 et considérée comme l'une des plus emblématiques du répertoire du Tanztheater, est l'une des rares pièces dans laquelle Pina Bausch a elle-même dansé. Dans cette reprise, elle est incarnée par l’interprète canadienne Taylor Drury. Il s’agit d’un rôle qui peut sembler secondaire étant donné que la plupart du temps ce personnage féminin se trouve au côté jardin près des vitrages-miroirs qui entourent la scène. Mais au moment-où il se déplace au milieu de la scène, sa présence envahit le plateau et on observe une danse sublime, d’une pure perfection dans chaque geste. On a l’impression que ses mouvements sont ralentis par rapport aux mouvements des autres personnages, également présents, qui semblent accélérés. Et dans un coin recule de notre mémoire (imaginaire) on voit Pina Bausch sur scène.
La deuxième scène emblématique du Café Müller est la confrontation entre une femme et deux hommes. C’est une danse de gestes répétitifs qui évoque le sentiment d’impossibilité et d’échec. C’est la danse qui transmet bien plus que l’habileté technique dans l’interprétation ; elle communique une pensée, une émotion, une narration : elle tisse une poésie. La poésie du Café Müller, comme d’ailleurs dans tous les spectacles de Pina Bausch, est à la fois brutale et érotique, sensible et fragile. Les six danseurs, les six personnages, se trouvent constamment dans une recherche insaisissable les uns des autres ne parvenant jamais à se rejoindre pleinement.
Dans Café Müller, tout danse. Chaque élément, du corps à l'espace, du son à la musique, des objets en mouvement, participe à cette chorégraphie magistrale. Dans la première scène, le deuxième personnage féminin en robe blanche (Tsai-Chin Yu) commence à se déplacer dans l’espace, accompagné d’un homme qui lui fraye le chemin en écartant les chaises. On voit une danse affranchie qui nous fait penser aux mots poignants : « Dansez, sinon nous sommes perdus ». Et la musique d’Henry Purcell imprègne tout le corps...
Décrire le mouvement et le geste dans un spectacle est l'une des tâches les plus difficiles en matière d'analyse. Et lorsque cela concerne Pina Bausch, cette tâche devient encore plus complexe. Si une perfection pure existe dans les formes créés par le corps, alors le travail de Pina Bausch en est indéniablement l’incarnation.
Aida Copra
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